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La Martinique et le Covid

Récit d'une mission d'aide médicale contre l'épidémie de COVID

Contraste, une journée d'aide-soignante


Marie-Neige prend son service le matin à six heures trente comme tous les jours au cours de cette mission COVID.
Encore cette chaleur humide dans l'unité de médecine polyvalente. La sueur ne s'évapore pas et colle contre sa tenue en papier verte.
Une chambre attire son attention. Elle rentre.

Sur le lit près de la porte de la fenêtre, Madame GER. vingt-quatre ans, est sous six litres d'oxygène. Elle est épuisée, essoufflée  tousse et crache beaucoup. Lors des transmissions, je fus surpris par l'âgede cette jeune fille et surtout de son poids de cent trente deux kilos.

Trop fatiguée et venant juste d'arriver dans le service, je la trouvais encore habillée dans son lit. Une robe rouge collante près de son corps, plaquée en raison de la moiteur de sa transpiration.

- Bonjour Madame GEL. dis-je

Elle acquiesce.

- Comment  vous sentez-vous

- Pas bien dit-elle économisant ses forces

- Je suis Marie-Neige, fais parti du renfort sanitaire, et suis aide-soignante. Je vous propose de vous accompagner pour votre toilette.

Elle ne répond pas mais je la sens trop faible pour qu'elle puisse seule se laver.

- Ne vous inquiétez pas, nous allons prendre le temps qu'il faut pour cela.

Pendant la toilette elle m'explique que son Covid l'inquiète car elle devait commencer sa première année à l'école d'infirmière en Belgique.

Peu loquace malgré tout car ne pouvant même pas s’asseoir, le moindre effort provoquant systématiquement une quinte de toux et de crachats, je la sentais vraiment en détresse.

Je terminais ses soins d'hygiène et quittais la chambre.

Son surpoids à cet âge là m'a beaucoup interpellé, car en effet de nombreuses Martiniquaises sont comme elle. Une région riche en fruits et légumes en abondance, à priori ne devrait pas conduire aux excès et à l'obésité. Cette jeune femme n'aurait sûrement été frappée par le virus si elle était restée mince. 

J'interrogeais mes collègues à ce sujet:

- De toutes façon "ils" nous gavent de sucre dans tout. C'est normal !

Cette réponse affirmée comme une banalité.

Est ce un problème d'économie locale ? Une mauvaise éducation alimentaire ? 

Un accès à la prévention médicale insuffisant ?

Au supermarché les produits sucrés sont en abondance et je notais aussi la présence de sucre blanc, de sucre de canne et  de fructose associés. Pourquoi les trois ?

A côté de cette jeune fille, une autre patiente m’observe en silence. Malgré ses quintes de toux son visage invite à la discussion  et aux échanges.

Je termine les soins de la première patiente et me tourne vers cette voisine de soixante-quinze ans comme je l’imagine.

Allongée sur son lit, un masque à oxygène coiffant son visage elle me demande :

- Pourriez-vous me donner un déambulateur, je voudrais marcher un peu dans le couloir, s’il vous plaît ?

- Madame, vous êtes sous oxygène et je ne pense pas que votre levé soit autorisé.

J’enchaîne.

- Pour votre toilette voulez-vous vous asseoir au bord du lit?

- Sûrement, je ne suis pas encore morte ! Je tousse mais j’ai encore des forces pour mon âge.

- Très bien dis-je, je vous aide.

Je lui tends le gant de toilette, dispose une bassine d’eau chaude à proximité sur la table roulante. Malgré sa perfusion sur son bras gauche elle se lave le visage .

- Je voudrais aller sous la douche mais avec mon oxygène rajoute-t-elle.

- Ah Madame voyons, ce n’est pas possible, tout d’abord parce que vous êtes faible, et nous n’avons pas de rallonge suffisamment longue pour acheminer le gaz jusqu’à la douche , et d’ailleurs l’infirmière ne sera pas d’accord dans votre cas.

 

Elle avait ôté son masque pendant sa toilette du visage et malgré cet élan d’énergie, probablement du désespoir, son regard trahissait une certaine angoisse devant la sensation du manque d’oxygène qu’elle ressentait.

Elle remet rapidement son masque et se rallonge pour la suite des soins, résignée.

Voulant revenir en discussion, je lui demande :

- Avez-vous eu des enfants ?

- Vous savez, j’ai eu dans ma vie quinze enfants. Malheureusement trois sont décédés accidentellement.

- Quinze enfants m’exclamais-je ! Mais quel est votre âge ?

- J’ai quatre-vingt quinze ans .

Je suis alors soudain prise d’empathie pour cette femme qui paraît dix ans de moins.

Sa peau et ses cheveux sont étonnamment si éclatants. Son regard est plein de bonté.

Je pense et j’essaie d’imaginer son parcours de vie.

Elle se bat elle aussi contre ce virus qui s’installe insidieusement et fait preuve d’un volonté de vivre qui ne me laisse pas indifférente.

Quel contraste avec sa jeune voisine.

 

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